dimanche 6 avril 2014

Louis Marie DÉSIRÉ-LUCAS (1869 - 1949)



   Dans un coin d’une salle du Musée des Beaux-Arts de Brest se trouve une peinture de taille modeste d’une jeune fille posant de profil l’air grave et digne. Les couleurs sombres donnent au portrait une note solennelle, presque tragique. Avec virtuosité, l’artiste a centré son œuvre sur les reflets nacrés de la coiffe. Si cette peinture a la maîtrise et la majesté des portraits flamands du siècle d’or, elle n’est pas celle d’un peintre de cour illustrant une quelconque jeune fille de noblesse.


De façon extraordinaire, cette œuvre est celle d’un garçon de 16 ans. L’artiste Louis Marie DÉSIRÉ-LUCAS l’a réalisée en 1886 sur l’île d’Ouessant au large du Finistère en Bretagne. L’histoire nous apprend que le modèle est une jeune fille de sept ans dénommée Marie-Hélène Malgorn. Louis Marie Désiré Lucas, élève au Lycée de Brest est passionné de dessin depuis sa prime enfance. « A quatre ans, disait-il, je faisais déjà des fugues au port, où mes parents affolés me retrouvaient en train de dessiner les bateaux… » (1).
Cette Jeune Ouessantine restera profondément attachée au parcours du peintre. L’écrivain breton Auguste Dupouy (1872 - 1967) nous le rappelle dans L’Art et les Artistes en 1930 : « Avec une légitime piété pour ces lointains débuts, (Désiré-Lucas) garde dans ses archives d’artiste une certaine Petite Ouessantine qui date de 1886 (il n’avait pas dix-sept ans), fin et grave profil de fillette, dont la coiffe presque monastique accuse la gravité. » La toile aide sans doute l’artiste à décrocher la modeste bourse de la ville de Brest qui lui permet de rejoindre Paris en mai 1889. Admis aux Beaux-Arts en 1891, l’artiste devient l’élève des portraitistes William Bougereau (1825 - 1905) et Tony Robert-Fleury (1837 - 1911). Aussi utile fut-il, cet académisme fut pour Désiré-Lucas un enseignement à rebours qui aboutira au refus au Salon de 1896 de son Ave Maria (2).
La rencontre de Désiré-Lucas avec Gustave Moreau (1826 - 1898) marque une rupture pour le peintre et la Jeune Ouessantine y joue un rôle central. Auguste Dupouy nous conte l’histoire (2) : « Peu d‘artistes contemporains auront connu à ce point l’angoisse de ces carrefours de la vie – compita vitae – dont parlait il y a dix-neuf siècles le poète Perse. Que résoudre ? D’autres eussent fait de la banque. Mais Désiré-Lucas, Breton têtu, n’est pas de ceux qui renoncent. Ce qu’il lui faut, c’est un remontant. Un paquet de toiles et d’études sous le bras, il va trouver Gustave Moreau, le grand artiste qu’il admire en secret, qu’il place plus haut que tous dans sa vénération. L’accueil est plein de bienveillance et de franchise. Désiré-Lucas a lui-même relaté, dans une revue d’art, cette entrevue. Le maître alla jusqu’à lui demander :
-          Et si je vous disais d’abandonner la peinture, que feriez-vous ?
La réponse fut celle qu’il prévoyait sans doute : le conseil ne serait pas suivi. Alors il soumit le visiteur à une épreuve décisive. Il le laissa seul quelques instants, en le chargeant de ranger contre un mur, lui-même, par ordre de mérite, ces œuvres inégales, parmi lesquelles il en voyait une de grande qualité.
« Sans le moindre tâtonnement, écrit Désiré-Lucas, je classai chaque chose à sa place définitive.
La tête de Jeune Ouessantine prit la première place, puis mes croquis d’enfance et de jeunesse ; ensuite un vide, un grand espace, et très loin, un peu dans l’ombre, mes études d’atelier             
« Mon grand juge apparut. Au premier coup d’œil il sourit, approuve et me dit :  « - Mon petit, vous êtes sauvé. ».
Loin de Paris, Désiré-Lucas poursuit une brillante carrière, couronnée par son élection à l’Académie des Beaux-Arts le 11 avril 1943 en remplacement du portraitiste Jacques-Émile Blanche (1861 - 1942). La presse rappelle que ses toiles célèbrent la beauté des sites bretons et écrit : « On lui doit aussi quelques portraits, en particulier une « Ouessantine » qui est célèbre. »
Désiré-Lucas décédé en 1949 ne se départira jamais de cette œuvre si intimement liée à son parcours. La toile dédicacée « A ma femme bien aimée, 20 juillet 1901 » fait l’objet d’un don par la famille de l’artiste au Musée des Beaux-Arts de Brest en 1970 grâce notamment à l’intermédiaire du peintre breton et élève de Désiré Lucas, Jim Sévellec (1897 - 1971). 
En avril 2012, le Musée présente le tableau restauré grâce à l'association et société «Pour l'étude de l'œuvre du peintre Désiré-Lucas» et quelques mécènes.

1. In Désiré Lucas, Amicale pour l'étude de l'oeuvre du peintre Désiré Lucas, catalogue de l'exposition au MBA de Brest, 25 septembre - 27 octobre 1995
2. Auguste Dupouy, DÉSIRÉ-LUCAS, L'Art et les Artistes, 1930

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